Le rôle de la radio en tant que source d’information ne doit pas être sous-estimé, malgré la télévision, Internet, les médias sociaux et la presse écrite toujours existante. En Afrique en particulier, la radio joue un rôle important dans l’information et l’éducation de la population. Les médias peuvent contribuer au dialogue et à la compréhension, mais ils peuvent également contribuer à générer des tensions sociales et ethniques par le biais de stéréotypes et de reportages inexacts. Cette hypothèse est le point d’entrée du projet CPS du Kenya intitulé UMOJA – Radio pour la Paix.
Nous avons démarré le projet en novembre 2016 avec notre organisation partenaire KCOMNET (Réseau des Medias Communautaires du Kenya). Les médias communautaires étant souvent perçus comme le meilleur multiplicateur pour les initiatives de paix, le projet visait les 23 stations de radio communautaires kényanes. En prévision de la prochaine année électorale et des violences que le Kenya a connues après les élections de 2007, l’idée maîtresse était de donner aux journalistes de la radio communautaire les moyens de faire leur travail en prenant en compte le contexte conflictuel. Comprendre les conflits, leur dynamique et le danger mais aussi les chances de changement qui en découlent, la communication non violente (CNV) – tout cela devait être assemblé dans un programme de formation pour les collègues de la radio communautaire qui ne sont pas tous des journalistes qualifiés.
Voilà donc la théorie qui sous-tendait l’idée du projet, la réalité des besoins des stations de radio communautaires étant beaucoup plus complexe. Le plus grand défi pour nos collègues kényans n’était pas de suivre des formations, mais de gagner de l’argent avec leur activité, en tant que station. Une grande réunion de lancement avec les directeurs de station en décembre 2016 nous a permis de procéder à une première évaluation des besoins et d’intégrer les chefs d’équipe et les directeurs de station dans notre planification. Les participants ont souhaité trouver un nom fort à ce projet de consolidation de la paix: UMOJA – Radio pour la Paix. UMOJA signifie l’unité en swahili. On pouvait donc se lancer.
En janvier 2017, Sheila a rejoint le projet en tant que Chargée de projet. Elle a menée des études sur la paix et les conflits. Au cours des mois suivants, l’équipe a parcouru le pays pour rencontrer ses collègues de la radio communautaire. De Radio Kwale-Ranet sur les rives de l’océan Indien à Radio Ekialo-Kiona sur l’île Mfangano, dans le lac Victoria. De la frontière tanzanienne aux comtés du nord et de l’est, ils ont rencontré les directeurs de station et leur personnel pour évaluer les besoins individuels en matière de formation et de matériel. Le nombre de stations de radio communautaires initialement arrêté à 23 est passé à 41 parce que 18 stations de radio catholiques qui effectuent un bon travail de radio communautaire ont été en mesure de rejoindre le projet UMOJA. Tous les collègues souhaitaient développer leurs connaissances sur les conflits et sur la manière de les traiter en tant que journalistes à la radio, tout le monde connaissant le danger de cette année électorale 2017.
Le Kenya compte plus de 40 groupes ethniques. La violence ethnique lors des élections n’est pas anormale au Kenya. Depuis l’indépendance, l’ethnicité a influencé la sphère politique, de nombreux Kenyans ont tendance à voter selon des critères ethniques. L’ethnicité est l’un des grands défis à surmonter. Les stations radio sont conscientes du fait que la radio est un média puissant et que tout le monde connaît les horribles exemples d’abus de ce pouvoir pendant le génocide rwandais, mais aussi les mauvais exemples de certaines stations radio commerciales vernaculaires lors des violences postélectorales au Kenya en 2007/2008.
Les élections ont été fixées au 8 août, les nominations de candidats ont eu lieu en mars et les primaires en avril. L’atmosphère dans le pays était chargée. Le tribalisme, les discours haineux, les fausses informations et la désinformation, en particulier par le biais des médias sociaux, mais également la criminalité organisée et en col blanc et l’extrémisme violent, constituaient un dangereux mélange. La boussole devant guider les collègues de la radio communautaire était claire: faire la différence.
Avec beaucoup d’enthousiasme, les radios communautaires ont commencé à travailler ensemble, à partager des informations et à élaborer un code d’éthique. Grâce à la coopération avec la Fondation Konrad Adenauer, une réunion avec les 41 responsables de stations a été rendue possible. Lors de la Journée mondiale de la liberté de la presse 2017, les 41 stations de radio ont adopté la Déclaration de NAIROBI «Engagement pour la vérité, l’équité, l’éthique et l’intégrité». Les stations de radio ont également commencé à former une grande communauté.
Avant les élections, l’équipe UMOJA avait visité la plupart des stations, organisé 5 grands ateliers en salle et formé au moins 2 membres du personnel de chaque station sur les notions de base en analyse des conflits et la cartographie des acteurs pour pouvoir effectuer un meilleur travail d’enquête. Le programme de formation avait été mis au point; non seulement les reportages dans un contexte de conflits et la communication non violente ont été traités, mais aussi la vérification des faits et certaines autres compétences journalistiques de base. Environ 250 journalistes ont été formés. Le projet UMOJA avait son propre bulletin d’information et son site Web; deux groupes WhatsApp (gestionnaires de stations et journalistes) ont contribué à maintenir les contacts. Dans le même temps, le PNUD a chargé les radios de produire des spots d’éducation des électeurs. Ces productions de contenus payants ont amélioré la situation matérielle des stations.
Malgré les fortes tensions qui ont régnés dans le pays après le premier tour des élections, leur annulation et un second tour, le pays est resté essentiellement pacifique. Une fois cet épisode terminé, l’équipe UMOJA et ses collègues de la radio pouvaient se concentrer sur d’autres sujets liés aux conflits: violences sexuelles, extrémisme violent, conflits liés aux ressources, accaparement des terres, vol de bétail, justice sociale et la plupart des stations devaient traiter un sujet de conflit dans un contexte local très spécifique. (A suivre)
Michael Schweres est journaliste principal, auteur et formateur de journalistes. Il est conseiller international pour la consolidation de la paix auprès de KCOMNET et du projet UMOJA –Radio pour la Paix.