Il est 5 heures du matin dans le comté de Kiambu, à un jet de pierre de Nairobi, la capitale kényane. Une cacophonie de grognements et de couinements rompt la quiétude matinale. C’est l’heure du petit-déjeuner à Alma Farms, et Alex verse à ses cochons leur ration quotidienne de nourriture avant de s’assurer que leurs enclos sont propres. Une fois certain que ses animaux ont tout ce dont ils ont besoin pour la journée, Alex peut commencer la sienne.
S’il consacre aujourd’hui sa vie à l’élevage porcin, il était à mille lieues d’envisager d’en faire un jour son métier lorsqu’il était plus jeune. «Mon père me disait de devenir agriculteur, mais ça ne m’intéressait pas. La saleté me rebutait», confie Alex en riant. «C’est pourquoi je me suis tourné vers l’informatique. J’ai toujours voulu faire quelque chose en lien avec la technologie et les ordinateurs, travailler derrière un bureau».
En réalité, Alex n’était pas le seul à caresser ce rêve. Nombre de jeunes issus des zones rurales du Kenya affluent vers les villes pour faire des études ou trouver un emploi. Non seulement cela fait reposer la production destinée à satisfaire les besoins alimentaires de tout un pays sur une population vieillissante, mais les jeunes qui arrivent en ville se heurtent à une concurrence féroce et à un manque de débouchés professionnels.
Découvrir de nouveaux horizons
Pendant dix ans, Alex a cherché du travail à Nairobi, mais n’a obtenu que des contrats occasionnels et de courte durée. Il a également essayé à plusieurs reprises de créer sa propre entreprise, mais toutes ses tentatives se sont rapidement soldées par un échec face à la forte concurrence. Après quelque temps, le manque de débouchés en ville a incité Alex à revenir à l’idée de son père, et plus il y réfléchissait, plus elle lui semblait sensée.
«Les jeunes s’imaginent que Nairobi est le seul endroit où l’on peut gagner de l’argent ou trouver un emploi. Mais avoir [une ferme] à proximité de la ville est tout à mon avantage car c’est ici que la plupart des habitants de Nairobi se fournissent en nourriture», explique-t-il.
Après avoir sauté le pas, Alex a pu développer son exploitation grâce à un projet de la FAO destiné à promouvoir l’entrepreneuriat dans le secteur agroalimentaire et, ainsi, à lutter contre l’émigration de la jeunesse rurale par la création d’emplois attractifs.
À l’origine, Alex avait monté une petite exploitation d’herbes aromatiques et d’épices. Dans le cadre du projet, la FAO lui a fourni non seulement un lot de démarrage comprenant des semences, de l’engrais et un kit d’irrigation, mais aussi un porcelet, compte tenu de son vif intérêt pour l’élevage porcin. À cela se sont ajoutés des cours sur la dynamique de groupe, le secteur agroalimentaire, les bonnes pratiques agricoles et les systèmes de caisses rurales. Des séances en école pratique d’agriculture ont également permis aux participants de se former sur des sites de démonstration, notamment d’acquérir des connaissances concrètes sur les bonnes pratiques agricoles.
Tirer parti des technologies
Lorsqu’il s’est lancé, Alex a vite compris que ses connaissances en informatique, loin de lui être inutiles, constituaient au contraire un précieux atout. Avec l’avènement d’internet et des nouvelles technologies, les exploitations agricoles sont devenues aussi modernes que n’importe quelle entreprise urbaine.
«Mon bagage dans le domaine informatique m’est d’une grande aide car je peux étudier ou encore vendre ma récolte en ligne. Plutôt que d’apporter mes légumes au marché, je peux les vendre depuis chez moi. La technologie a transformé le métier de mon père. Et moi, j’ai la possibilité de transformer l’agriculture.»
Aujourd’hui, Alex se sert de son expérience de l’informatique pour former d’autres jeunes aux meilleures pratiques permettant d’accroître productivité et rentabilité. Depuis qu’il a créé son entreprise agricole, il a notamment tourné des vidéos de démonstration qu’il a publiées sur Facebook, et invité les agriculteurs locaux intéressés à venir faire des visites pédagogiques sur son exploitation.
Pourtant, si Alex est aujourd’hui un modèle dans sa profession, il fut un temps où son entourage ne le croyait pas capable de réussir dans ce secteur. En effet, il est né avec un handicap touchant ses jambes. Plus jeune, il s’est heurté aux nombreux préjugés et au rejet de son entourage. Il a même commencé sa scolarité tardivement, les écoles qui avaient les moyens d’offrir un soutien supplémentaire étant peu nombreuses dans sa région à l’époque.
Lorsqu’Alex s’est lancé dans l’agriculture, il pensait ne pas pouvoir effectuer certaines des tâches les plus physiques. Mais il s’est vite rendu compte qu’il pouvait, au besoin, faire appel à du personnel occasionnel pour l’aider dans les travaux les plus lourds.
«Au début, les gens qui m’entouraient voyaient le handicap comme une malédiction», dit-il. «J’ai modifié la perception qu’ils en avaient, et maintenant ils comprennent que les difficultés ne sont pas si nombreuses. Je marche différemment, donc je fais certaines choses différemment, mais je suis finalement une personne comme une autre.»
Tout n’est qu’une question d’attitude
Adolescent, Alex rêvait de se construire un avenir en ville. Aujourd’hui, il estime qu’avoir un bon travail dépend moins de l’endroit où l’on se trouve que de l’attitude que l’on adopte. Il s’emploie avec énergie à transmettre à d’autres jeunes sa passion pour l’agriculture moderne.
«Les jeunes de notre époque doivent comprendre que l’agroalimentaire est une source d’emplois. Si on réussit dans ce secteur, on peut gagner autant qu’on veut».
Les chiffres sont éloquents. Avant de prendre part au projet de la FAO, les revenus d’Alex étaient inférieurs à 100 USD par mois. Aujourd’hui, il gagne jusqu’à 300 USD. Mais ce n’est pas l’argent qui compte le plus à ses yeux.
«Vous savez, il faut aimer ce que l’on fait», dit-il. «En changeant d’état d’esprit, on en vient à aimer ce que l’on fait, peu importe ce que c’est, et on peut aller loin. C’est pourquoi je suis toujours auprès de mes cochons: ce sont mes bébés.»
Avant d’ajouter dans un sourire: «Alors, qu’attendent les jeunes pour venir me rejoindre à la ferme?»
Article de: FAO